Hypothèses

Durant les ateliers, l’ensemble des 11 dossiers prospectifs a été présenté aux membres du groupe qui pouvaient les commenter et les compléter. A partir des éléments du dossiers, les hypothèses d’évolution des macro-variables ont été construites collectivement en distinguant :

 

  • Les hypothèses tendancielles : qui renvoient aux dynamiques en cours.
  • Les hypothèses contrastées : qui reprennent les incertitudes, les controverses, les germes de changement.
  • Les hypothèses de rupture : qui renvoient aux ruptures.

 

Hypothèse tendancielle (H1) : Poursuite du développement des formations et des compétences dans une logique d’adaptation plutôt que d’anticipation

La mixité des contenus de formation s'accentue, tout en conservant la primauté des organismes certifiants et des diplômes des universités et écoles prestigieuses, avec une montée en puissance des formations en décarbonation et digital, bien qu'en ayant toujours un train de retard par rapport aux besoins. On assiste à une course à la compétence et une recherche de compétences principalement duales (digital + ingénieur production; digital + environnement…), sur des profils ultra spécialisés, valorisant toujours les soft skills et les capacités techniques ‘intellectuelles’ orientées vers les ingénieurs, l’e-maintenance et la qualité. 

L’emploi industriel stagne toujours au niveau de 10-11% de l’emploi total avec, en revanche, une hausse significative du statut d'auto-entrepreneur. Malgré le vieillissement de la population, le marché du travail est régulé par la hausse de l'employabilité des seniors, les migrations, et la baisse (substitution) des métiers non qualifiés avec l’évolution technologique. 

Parallèlement, on constate un creusement des inégalités et des conditions de travail entre les salariés-métiers qualifiés bénéficiant de conditions favorables (ex. entreprises libérées) et les travailleurs indépendants-non qualifiés subissant une intensification du travail. Les jeunes attachent toujours une grande importance au sens du travail, mais il y a un décalage croissant avec les promesses des entreprises, et finalement, les principaux critères pour rejoindre une entreprise restent liés aux  avantages économiques des grandes entreprises ou à la créativité des PME/start-up innovantes. La carrière continue donc d’être nomade, en se traduisant par une forte mobilité professionnelle selon les avantages précédemment mentionnés et l'acquisition de compétences. La digitalisation du travail entraîne une acceptation plus large du télétravail et des espaces de coworking tandis que le rôle de l’entreprise comme vecteur d’interaction sociale s’affaiblit. 
 

 

Hypothèse contrastée (H2) : Revalorisation du travail manuel et retour en force du collectif dans un contexte de reprise industrielle


L’évolution du système scolaire dès le primaire (orienté autour du travail manuel de l'EC et de la technologie) permet de mieux répondre aux besoins de nouvelles compétences manuelles et techniques liés au digital, ainsi qu’un sens du travail collectif. La technologie (ex. IA) est justement mobilisée pour mieux anticiper les métiers.

On valorise désormais des profils polyvalents dont les compétences sont orientées vers les finalités de l’EC et on valorise davantage des métiers manuels anciennement peu nobles (tri, réparation, recyclage, déjà présents dans la logique collective de l’ESS) qui sont en pleine mutation. Par exemple, la résurgence de la maintenance manuelle rénovée et combinée à la e-maintenance. 
Le sens du collectif devient un facteur structurant des politiques RH et favorise le développement de démarches de mutualisation des compétences. L’employabilité élevée des seniors pour pallier le vieillissement de la population et réguler le marché du travail permet notamment de tirer profit des synergies entre l'expérience des seniors et les compétences digitales des jeunes.

L’emploi industriel retrouve un nouveau souffle et parvient à passer au-dessus du palier des 10-11% de l’emploi total grâce à une relocalisation de la production entraînant dans son sillage une hausse de l’emploi des métiers manuels, grâce aussi à la meilleure anticipation des métiers sur l’EC-technologie avec la création de postes pour une meilleure prise en charge des finalités de l’EC. En particulier, la durée de vie prolongée des biens et leur recyclage accru influencent significativement les métiers de maintenance de plus en plus assistée par ordinateurs (+80 000 ouvriers qualifiés). 

Ces mutations favorisent la réduction des écarts dans les conditions de travail entre métiers qualifiés et non qualifiés. Ainsi une “bonne carrière” peut être manuelle et le “sens au travail” repose principalement sur le collectif et les valeurs environnementales. La fidélisation dans une seule entreprise reste faible, il n’y a pas de retour au modèle classique de la carrière; mais en revanche, le statut d’indépendant reste marginal et le modèle des coopératives se déploie. Rejoignant des coopératives de travailleurs ou des GIE / coopératives locales liées à l’industrie, les travailleurs ont un meilleur contrôle de leurs conditions de travail.

 

 

Hypothèse de rupture (H3a) : Ubérisation du travail industriel

 

L’ubérisation du travail s’étend à tous les métiers dont ceux de l’industrie. Cette ubérisation repose sur la mutation de la formation devenue ultra-personnalisée, et en constante évolution, grâce à l’usage de l’IA et la fin du prestige des diplômes des grandes écoles/universités (les organismes de formation se multiplient sous toutes les formes, sont plus agiles et accessibles sur internet). Par suite, les compétences sont mouvantes, en constante évolution pour les travailleurs, et mutualisées du côté des entreprises pour permettre le recrutement de compétences par projet. 

L’emploi industriel ne se mesure plus spécifiquement à l’échelle nationale et la notion de métier industriel devient moins significative : les métiers individualisés et en constante évolution s’ajustent aux besoins spécifiques de chaque projet des entreprises. Cette configuration facilite l’adéquation entre l’offre et la demande sur un marché du travail devenu plus flexible et croisant les échelles locales, nationale, mondiale selon les besoins. 

Au-delà des contraintes imposées par le marché du travail, l’employabilité des actifs se fait à tout âge et repose sur les choix individuels, chacun ayant son propre “sens au travail” (selon ses intérêts et engagements personnels). Certains travailleurs s’arrêteront plus tôt et d’autres poursuivront au-delà de 67 ans. Le succès de carrière passe par la capacité des travailleurs à développer leur marque “employé”, en faisant évoluer leurs compétences en continu. 

L’hybridation des statuts, sans distinction apparente entre indépendants et salariés, est devenue la norme (ex. plus de différences notables sur la sécurité sociale, droit à la retraite, etc.) et elle accentue la précarité des plus vulnérables (moins agiles et aux moyens financiers limités pour développer les compétences). L’individualisation du travail combinée au digital renforce les espaces de coworking publics et diminue le rôle d’interaction sociale des entreprises.

 

 

Hypothèse de rupture (H3b) : Retour à un modèle classique mais renouvelé par une logique d’EC qui s’étend à la sphère privée.

 

Retour à une forme de travail traditionnelle mais renouvelée par une plus grande prise de distance au travail, pour se concentrer sur d’autres activités et la prise en charge de l’EC en tant que citoyen.
La formation reste traditionnelle avec une revalorisation partielle des compétences manuelles qui ne sont pas uniquement dédiées à la sphère professionnelle.  Les compétences manuelles à finalité d’EC sont surtout valorisées, en effet,  pour la sphère privée, tandis que les entreprises continuent de valoriser des compétences soft et intellectuelles.

Il y a un retour sur des carrières classiques basées sur le contrat psychologique de « sécurité-fidélité » avec un renforcement de l’entreprise comme vecteur d'interaction sociale et la diminution de la digitalisation du travail. Ce modèle du travail est tout de même renouvelé avec un engagement plus important des entreprises sur des modèles d’entreprises libérées et des logiques d’EC dans la gestion des ressources humaines, pouvant toucher toutes les dimensions du travail (contenu, organisation, relations humaines). Par exemple, promouvoir l'éco-conception des pratiques et de l’environnement de travail, reprendre le principe de recyclage pour repenser le redéploiement des travailleurs en interne, ou celui de réparation pour une meilleure réintégration des salariés après une absence prolongée.

Le modèle du travail est également renouvelé avec la standardisation de la semaine à 4 jours, voire moins pour les entreprises les plus avant gardistes, en lignée avec la recherche d’un meilleur épanouissement privé et la fin du “sens donné au travail”, qui n’est plus une finalité en soi.
La baisse du temps de travail combinée à une baisse de l'employabilité des seniors qui partent plus tôt à la retraite, permet une régulation du marché du travail malgré la baisse du taux d’emploi industriel suite au ralentissement de l’activité des industriels (dans une démarche de ralentissement de la production et consommation).
 

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