Hypothèses
Durant les ateliers d’une journée, l’ensemble des 11 dossiers prospectifs a été présenté aux membres du groupe qui pouvaient les commenter et les compléter. A partir des éléments du dossiers, les hypothèses d’évolution des macro-variables ont été construites collectivement en distinguant :
- Les hypothèses tendancielles : qui renvoient aux dynamiques en cours.
- Les hypothèses contrastées : qui reprennent les incertitudes, les controverses, les germes de changement.
- Les hypothèses de rupture : qui renvoient aux ruptures.
Hypothèse tendancielle (H1) : Résilience et persistance
Face aux crises et aux pressions institutionnelles, les chaînes d’approvisionnement (CA) tendent à développer une résilience accrue. La résilience a alors pour objectif la stabilité de l’ensemble des acteurs, via une capacité de rebondir après une perturbation au sein d’une CA comme système fermé, planifié et contrôlé. L’utilisation de technologies comme la blockchain renforce la transparence sur l’ensemble de la CA, ce qui renforce la confiance de l’ensemble des acteurs, y compris les consommateurs et facilite la mise en place de nouvelles pratiques en lien avec l’économie circulaire. L’institutionnalisation des 3R (réduire, réutiliser et recycler) se poursuit (ex. renforcement du décret des “3R”- loi AGEC; critères d’appel d’offre) malgré la hausse des coûts de transport et la raréfaction des matières premières, soulignant l’importance de la résilience économique.
Une gestion plus efficace des 3R en boucle fermée se développe, entraînant un rôle croissant des collectivités et l’émergence et/ou renforcement de nouveaux acteurs au sein des CA (par ex. fédération professionnelle du recyclage FEDEREC ou FNADE). De fait, les CA impliquent toujours de nombreux acteurs (fournisseurs de 2nd rang, chaînes de distribution B2B2C contenant plusieurs intermédiaires et clients) mais la stratégie de la CA reste contrôlée par l’entreprise pivot. Cette dernière renforce sa position dominante et ses objectifs d’efficacité, de satisfaction client et de résilience de la chaîne via l’usage des nouvelles technologies (4.0). L’entreprise pivot sera alors la première à mettre en place de nouvelles pratiques circulaires, qui se diffusent peu à peu aux autres partenaires au sein de la CA.
Au final, les CA longues et partiellement circulaires privilégient des activités en lien avec l’un des piliers de l’économie circulaire de l’ADEME (recyclage, éco-conception, économie de la fonctionnalité, etc.), à savoir le recyclage, au détriment d’une approche globale de la circularité. Très hétérogènes, les pratiques en lien avec l’économie circulaire soulèvent des questions quant à la capacité des entreprises à adopter une perspective holistique, favorisant la synergie entre durabilité et circularité.
Hypothèse contrastée (H2) : Coexistence des modèles classiques et circulaires
L’hypothèse contrastée pour 2030 anticipe l'impact des technologies avancées et low-tech pour réduire l’impact environnemental des CA en améliorant le recyclage et en réduisant l'utilisation des matières premières face aux ressources recyclées limitées. Face à ces défis, les PME tentent alors de relocaliser tout ou une partie de leur production, ce qui n’est pas le cas des grandes entreprises. En effet, les projets de relocalisation de grande envergure sont freinés par l’envolée des prix de l’énergie et par les pénuries de compétences et de main d’œuvre au niveau national.
En parallèle, la polarisation entre citoyens climatosceptiques et citoyens conscients de la réalité du changement climatique conduit à observer un contraste croissant entre deux modèles : d’un côté le maintien des CA classiques, de l’autre le développement de CA circulaires et durables, avec notamment le renforcement du marché de la seconde main.
Les CA classiques n’ont pas d’autres choix que d’intégrer les enjeux environnementaux (gestion des ressources, déchets, etc.) face à la réalité du changement climatique. Par exemple, de plus en plus de fabricants et leurs fournisseurs rejoignent le carbone disclosure project pour mesurer concrètement les émissions carbones de leur CA. Toutefois, la performance recherchée reste avant tout économique. Par exemple, la sélection des fournisseurs (1er et 2nd rang) demeure liée à des critères d’efficacité (coût/délai), au détriment des enjeux environnementaux et sociaux.
Les CA circulaires et durables se focalisent davantage sur les dimensions sociales et éthiques vis-à-vis des travailleurs, parfois plus prépondérantes encore que les enjeux environnementaux. A la performance économique (temps court) s’ajoute alors la performance organisationnelle de la CA (temps long), en termes de résilience et de fiabilité, comme critère essentiel pour se démarquer sur un marché en constante évolution. Les ONG ont alors un rôle plus important de contrôle (en tant que lanceur d’alerte) et de normalisation (par des labels) des pratiques durables des CA circulaires et durables.
Hypothèse de rupture (H3) : CA locales et circulaires imposées mondialement
L’hypothèse de rupture pour 2030 anticipe une CA locale et circulaire imposée mondialement. Les multiples crises sanitaires et géopolitiques provoquent une hausse majeure des coûts de transport (augmentation du prix de l’énergie) et des délais d’acheminement (fermeture des frontières, zones devenues dangereuses) conduisant à l'effondrement des transports longue distance et à une relocalisation de la production.
D’autres part, le désastre écologique conduit les entreprises à utiliser localement des transports électriques, et à arrêter le service de retour des produits pour ses consommateurs. Ces derniers doivent désormais gérer la fin de vie des produits. Les chaînes de seconde main deviennent la norme, soutenues par l'accompagnement des entreprises. Ce modèle de CA circulaire, courte et locale se standardise mondialement. Il assure la résilience socio-économique en intégrant des enjeux de durabilité sociale, éthique et environnementale. Par exemple, au sein de l’industrie textile, le modèle de la plateforme Teemill, qui propose de produire des t-shirts conçus pour être renvoyés et recyclés lorsqu’ils sont usés, devient la norme.
La CA circulaire est alors interprétée comme un système fluide et ouvert, avec une forte capacité d’adaptation et de transformation, et un processus de décision stratégique horizontal. Les consommateurs et les fournisseurs de second rang jouent un rôle décisionnaire au sein de ce type de CA, mettant fin à l’approche paternaliste des entreprises pivot. Le rôle des ONG évolue également en étant impliquées dans la construction et la stratégie de la CA. Les nouvelles technologies optimisent l'utilisation des ressources et réduisent les déchets pour accroître la performance environnementale devenue prioritaire. L’efficacité des CA est alors mesurée principalement selon la gestion des ressources (ex. méthode Product Environmental Footprint) et les 7 piliers de l’économie circulaire proposés par l’ADEME.